Le Maître détaché
 

Un jour, le Maître détaché et son disciple Sramanera (Sramanera signifiant jeune moine ou moine novice) devaient se rendre à un lieu pour enseigner le dharma. Sur leur chemin, ils tombaient sur un ruisseau. La pluie venait de s'arrêter de tomber. Bien que l'eau du ruisseau fût peu profonde, c'était humide et couvert de boue dans les alentours.

Au moment où le maître et son disciple s'apprêtaient à traverser le ruisseau, ils virent une jolie jeune femme venir vers eux. Elle était vêtue à la mode. Bien qu'elle eût l'air pressée comme si elle avait d'importantes affaires à gérer, elle hésita au bord du ruisseau et n’avança pas.

A ce moment-là, le Maître détaché s'approcha de la jeune femme et lui dit : « Mademoiselle, venez par-là ! Je vais demander à mon disciple qui est jeune et fort de vous porter sur son dos pour traverser le ruisseau. » Subitement, le disciple rétorqua avec audace : « Maître, vous nous apprenez toujours à "éviter les charmes d'une femme". Pourquoi me demandez-vous aujourd'hui de la porter sur mon dos pour traverser le ruisseau ? »

Le Maître détaché poussa un soupir et dit : « Dans ce cas, je vais la porter moi-même pour le traverser. Je crains juste de ne pas avoir suffisamment de force et de glisser dans le ruisseau ! » Le disciple suivait son Maître juste derrière sans prononcer un seul mot. Il était perplexe et confus. Bien qu'il ne comprît pas, il n'osa pas, sur le moment, exprimer ses sentiments à son Maître pour éviter de causer une éventuelle chute ou blessure de son Maître. Mais il n’était pas content au fond de lui-même.

Quelque temps plus tard, le disciple qui était encore perplexe sur ce qui s'était passé, ne put se retenir plus longtemps.  Il s’approcha de son Maître et lui demanda : « Maître, nous devons "éviter les charmes d’une femme". Je ne comprends donc pas pourquoi, Maître, vous avez porté la jolie femme pour traverser le ruisseau ce jour-là ? Qu'avez-vous ressenti en la portant ? »

Après avoir entendu cela, le Maître détaché dit alors avec incrédulité : 

« Premièrement, concernant la jeune demoiselle que j'avais portée pour traverser le ruisseau, je m'y suis détaché depuis longtemps ! J'avais déjà "laissé tomber" cet incident ! Je n'aurais jamais pensé que, même jusqu’à maintenant, tu portes encore la demoiselle dans ton cœur !

Deuxièmement, lorsque je portais cette demoiselle sur mon dos, tout ce qui me préoccupait, c'était de ne pas faire souffrir les êtres, de ne pas glisser et tomber en toutes circonstances. Je n'avais pas de pensées déviantes et donc, je n’avais évidemment rien ressenti du tout !

Troisièmement, c’était toi qui n’avais pas obéi aux instructions du Maître pour porter la demoiselle. J'avais donc fini par la porter à ta place !  Si j’avais vraiment glissé et tombé, est-ce que tu aurais pu assumer cette responsabilité ?

Quatrièmement, tu m'interroges maintenant sur le précepte "éviter les charmes d'une femme". Mais, souviens-toi que c’était moi qui t'avais enseigné cette règle, comment pourrais-je l'avoir oubliée !

Enfin, ce jour-là, je ne t'enseignais pas à travers la "parole", mais j'essayais de  t’enseigner à travers "l'acte". Cela te permet d'expérimenter et de comprendre deux principes : "ne pas s'attacher obstinément" et "quand les choses sont passées et les circonstances ont changé, ne laisse aucune trace dans ton cœur". »